1001 poules sauvées de l’abattoir !
Au début du mois de juin nous vous annoncions avoir sauvé 1001 poules initialement promises à l’abattoir. Deux semaines plus tard, c’est l’occasion de revenir en détail sur ce sauvetage, de ces préparatifs à son heureuse conclusion.
Un geste inédit
Le 18 mai 2018, un éleveur du Nord de l’Ardèche entre en contact avec notre association et nous informe que ses 6000 poules pondeuses doivent partir à l’abattoir 15 jours plus tard. La production d’œufs exige en effet une rentabilité qui n’est plus suffisante quand les poules dépassent un certain âge : 18 mois dans cet élevage bio. Une fois sous ce seuil, l’alimentation et les soins coûtent plus chers que ce que rapporte la vente des œufs. Mais cet éleveur n’a pas choisi ce métier pour tuer ses animaux, et il fait tout pour trouver des alternatives. Il a déjà réussi à en vendre une partie à des particuliers grâce au bouche à oreille et à des annonces en ligne. Mais ses réseaux ne suffisent plus. La date de l’abattage approchant, il souhaite en sauver le maximum rapidement.
C’est alors très généreusement qu’il fait appel à nous et accepte que nous fassions adopter ses animaux sans aucune contrepartie financière. C’est un geste inédit et courageux, qui l’expose en plus aux jugements de toute une profession qui préfère souvent cacher ou dédramatiser cette facette du métier. Néanmoins contraint par certaines obligations auprès de sa coopérative et de son abattoir, il doit malgré tout en envoyer une partie sur les chaînes de mise à mort. Il s’arrête sur le chiffre de 1000. Nous pourrons donc faire sortir librement de son élevage jusqu’à 1000 poules.
Le temps presse
Nous ne pouvions bien évidemment pas refuser une telle offre, même si nous n’avions pas encore bien conscience de ce que représentait un tel nombre. Nous estimions au départ qu’en sauver une centaine en si peu de temps serait un exploit… En urgence, il a fallu mettre au point une stratégie pour pouvoir offrir une deuxième vie à un maximum d’oiseaux. Un mail unique a été utilisé pour cette campagne : jesauveunepoule@gmail.com, et un groupe Facebook a été ouvert pour organiser les co-voiturages. Nous avons aussi créé un formulaire de demande d’adoption en ligne, pour récolter les informations nécessaires et nous assurer des futures conditions de vie qui leurs seraient offertes (espace, abri, nourriture, soin, temps…). Afin de prendre une seconde garantie, nous avons décidé, en accord avec l’éleveur, de demander trois euros de frais d’adoption par poule. Une manière de se protéger de certaines personnes mal intentionnées, même si cela ne suffit évidemment pas. Inversement, nous n’avons pas demandé ces frais pour des associations ou des structures en qui nous pouvions avoir une totale confiance.
Près de 2000 demandes à traiter
En une dizaine de jour, ce sont plus de 500 personnes qui nous ont contactés. Par mail, mais aussi par téléphone, par courrier et par les réseaux sociaux. Au total, nous avons eu des demandes d’adoption pour 1980 poules. Et cela continue encore aujourd’hui. Il a donc fallu trier, sélectionner et répondre à toutes ces personnes. D’autant que tout le monde ne faisait pas toujours les choses dans l’ordre, ou se croyait face à une entreprise spécialisée dans la vente et la livraison de poules à domicile, en exigeant un service irréprochable.
En réalité nous n’avions bien sûr jamais eu à gérer un tel flot de questions et de données à traiter. Et nous n’étions qu’une poignée pour mener à bien cette mission : Anne et Adrien aux mails et à la collecte des données, et Eddy sur le groupe des co-voiturages et au conseil des futurs adoptants.
Nous avons volontairement écarté les demandes les moins sérieuses, les moins complètes, ou celles qui portaient sur plusieurs dizaines de poules en même temps… Au final nous avions une liste de 360 adoptants pour un millier de poules, plus une liste d’attente d’une cinquantaine de personnes et de 250 poules en cas de désistements. Il fallait encore recontacter tous ces gens, leur demander de confirmer leur adoption et leur en communiquer toutes les modalités.
Une organisation d’urgence
L’autre difficulté de ce sauvetage, outre le traitement des demandes et la communication, fut l’organisation pratique de la distribution de 1000 oiseaux. Comment réussir à donner 3 poules en moyenne à des centaines de personnes, venant de toute la France ? Le tout sur une semaine de travail pour nous, et même de travaux pratiques du Bac à faire passer pour Clément, qui plus est avec un élevage situé à 1h30 du refuge ? Le casse-tête semblait insoluble. Pourtant grâce à la mobilisation des bénévoles, tout s’est passé sans accroc. Le plan a été le suivant : lundi, mardi et mercredi nous tenions une permanence devant l’élevage de 16h à 19h pour tous ceux qui pouvaient venir chercher leurs poules jusque là. Pour les autres, nous avons rapatrié plus de 300 individus au refuge, que nous avons redistribués au Teil jeudi et vendredi de 17h à 20h, et tout le samedi matin. Afin de pouvoir planifier le nombre de poules à préparer nous avions demandé aux adoptants de s’inscrire sur un de ces créneaux et de nous donner une heure approximative. Ce qui a généré d’autant plus de mails et de coups de fils à passer et de réponses à traiter.
Chicken run
Tout cela était bien beau sur le papier, mais à partir du lundi 4 juin, il a fallu prélever des centaines de poules dans un bâtiment qui en contenait 3000. En temps normal, les animaux se laissaient facilement approcher. Mais depuis plusieurs semaines, les éleveurs avaient trahi leur confiance en en prélevant pour les confier à des particuliers. C’était donc des animaux apeurés et stressés que nous cherchions à attraper, dans un poulailler immense et truffé d’abreuvoirs, de mangeoires de pondoirs et autres obstacles et cachettes en tout genre. D’autant que nous ne pouvions pas les prélever la nuit, au vu des heures de distribution. Heureusement, la fille et le fils de l’éleveur étaient là pour nous aider. Nous avons ainsi pu profiter de leur expertise et de leur savoir faire avec les animaux qu’ils ont vu grandir et qui les connaissent parfaitement. Ce n’est pas sans difficultés ni sans sueur que nous avons pu faire sortir plus de 400 poules dès le premier jour.
Une action portée par les bénévoles
Heureusement, après le travail de fourmis réalisé numériquement par nos 3 bénévoles en amont, d’autres sont venus prendre le relai sur le terrain. Ugo est monté d’Avignon pour nous aider les deux premiers jours. Anne A. nous a prêté main forte sur place et a permis au tout premier co-voiturage d’avoir lieu. Esther et Jean-Claude sont venus en renfort quatre fois dans la semaine. Et Eddy est descendu spécialement de Nantes pour nous aider toute la durée du sauvetage. D’autres comme Karine ou Yann ont réalisé des co-voiturages de l’extrême avec des dizaines de poules acheminées aux quatre coins de la France. D’autres encore, ne pouvant pas accueillir de poules chez eux, nous ont fait un don pour nous aider à mener cette action.
1001 vies
Finalement, ce sont un millier de poules qui ont été sauvées et placées dans la semaine. Et même une de plus que l’éleveur a accepté de nous confier. Au total, entre la vente directe, les dons, et les mille poules sauvées par Altervita… ce sont 4560 poules qui ont échappé à l’abattoir. Nous pensons évidemment à toutes celles qui y ont terminé leur courte existence. Mais nous ne sommes pas les seuls à avoir de la compassion pour elles. L’éleveur et sa famille vivent très mal ce moment et voudraient ne plus avoir à faire tuer une seule poule à l’avenir. Loin du cliché de l’éleveur tortionnaire et sans cœur, nous avons rencontré des gens sensibles et prêts à beaucoup de sacrifices pour leurs animaux. S’ils le souhaitent, nous serions évidemment heureux de renouveler une telle opération l’an prochain. Avec plus de temps pour l’organiser, nous devrions faire encore mieux.
Tout arrêter ?
Certains d’entre vous doivent se dire : mais ils n’ont qu’à arrêter de faire ce métier. Puisqu’ils disent aimer leurs animaux ! Les solutions trouvées ne sont que temporaires, et leur activité repose de toute manière sur l’exploitation animale. Certes. Mais c’est pas aussi simple. D’abord ce n’est qu’une fraction de leur modèle agricole, mais une part intégrante puisqu’ils utilisent le fumier produit par les poules pour fertiliser leurs cultures de céréales bio, et une part des recettes de la vente d’œufs leur permet d’investir dans le vin bio, qui demande un fort capital de départ. Et puis surtout, tout le monde n’est pas vegan ! La demande d’œufs existe dans ce pays. Elle est même très forte. S’ils mettent la clé sous la porte, les magasins mettront de toute façon des œufs en rayon. Ils viendront sans doute de plus loin, et auront peut-être un impact carbone plus important. Cette demande provoquera l’installation d’un nouvel élevage, ou l’agrandissement d’un autre. Avec sans doute des agriculteurs bien moins concernés par le sort de leurs animaux.
Le changement viendra du consommateur
C’est la consommation des gens qui doit changer. Soit en acceptant de payer plus cher leurs œufs, pour financer le coût de l’entretien des poules réformées (voir l’exemple de Poule House) ; même si on ignore la viabilité de ce modèle qui, de toute façon, assoit et pérennise un système d’exploitation. Soit en n’achetant plus d’œufs du tout. C’est pourquoi les actions de sensibilisation des consommateurs et de promotions d’alternatives végétales menées par des associations comme L214 nous semblent être les plus efficaces. C’est ce travail de fond, cette patiente pédagogie et la lente évolution qu’elle initie qui permettra d’abolir l’exploitation animale. Au contraire, la lutte frontale et agressive envers toute une profession qui n’existe que pour répondre à une demande, et qui est menée de mille manières différentes, nous paraît totalement contre-productive. En le respectant et en dialoguant avec cet éleveur, nous avons ensemble déjà réussi à sauver plusieurs milliers d’individus. Quel groupe d’action directe peut se vanter d’une telle réussite avec des vols d’animaux ou des blocages ? Sans parler des risques de frais de justice pour ces associations et de saisie des animaux… Posons-nous la question : combien de poules aurions-nous sauvées en rentrant par effraction dans l’élevage ? Ou en bloquant l’abattoir auquel elles étaient destinées ? Sans doute pas plus d’une dizaine. Nous serions certes passés pour des héros aux yeux de certains, mais nous aurions perdu la confiance de l’éleveur. Ce qui l’aurait très certainement amené à voir d’un très mauvais œil les défenseurs des animaux, le freinant par la même occasion dans sa démarche de changement. La question de l’efficacité à court, moyen et long-terme de nos actions doit être très sérieusement posée. On ne peut plus se contenter de postures et de slogans.
Bilan de l’opération
Nous savons maintenant que nous pouvons conduire des opérations de grande envergure, et ce, en un temps record. Le coût des déplacements, du transport des animaux, de leur entretien au refuge etc, a été largement amorti par les frais d’adoption. C’est même une action plutôt positive pour les finances de notre structure, ce qui nous permettra de mener à bien d’autres sauvetages, beaucoup plus coûteux. Cette opération montre également que par des procédures entièrement légales, il est possible de sauver des milliers d’animaux promis à l’abattoir.
Sans renier ses principes, simplement en acceptant d’entendre ce que les autres ont à nous dire, en ouvrant le dialogue et en œuvrant côte à côte : dès aujourd’hui nous pouvons offrir une vie meilleure à ces individus, et demain un nouveau modèle de société.
Nous tenons à remercier une nouvelle fois l’éleveur et sa famille pour leur geste et leur aide si précieuse.
Merci à tous les bénévoles, à ceux qui nous ont prêté des véhicules et du matériel. Merci aussi aux co-voitureurs et aux donateurs.